#2 Le marchand de silence
Entre les portes, une silhouette fine s'engouffre puis s’assied sur un strapontin. Il s'agit d'un homme de type asiatique. Petit, mince, âgé, il porte une redingote bordeaux aux manches râpées et aux boutons rutilants. Son visage est marqué comme la souche d'un arbre abattu, ses mains sont habillées de bagues en or épais et, autour de ses poignets, des bracelets patinés par le temps ceinturent son ossature fragile.
Ce pourrait être des breloques. Mais ce n'en est pas. Tout est authentique.
Je l'observe du coin de l'œil et j'ai l'impression de commettre un sacrilège tandis que je détaille son chapeau sans forme, ses lunettes rondes et ses cheveux gris tressés à sa barbe fine. Le bruit des autres, désormais, ne m’atteint plus. La fillette qui baratine sa mère, le mobile qui crache une musique insoutenable, l’alarme qui siffle à chaque station sont amortis par le silence qu’inspire ce vieux marchand chinois.
Il est le fruit d’une époque qui n’est pas la nôtre, le figurant d'un film qui ne sera jamais sur nos écrans, le passeur qui nous emporte vers des contrées inconnues aux parfums d'orient.
Soudain, la rame redevient assourdissante et le bruit des rails grinçant sous le poids de nos corps trop lourds me ramène à la réalité. L'homme s'est levé, rompant le charme... Je me sens perdue quelques secondes et puis, souriant, je chuchote : merci, pour le voyage.